« Hémon et Antigone »
de Nicolas Wapler *
Les enfants d’Œdipe et de Jocaste, Antigone, Ismène, Etéocle et Polynice, ainsi que Hémon, fils de Créon et fiancé d’Antigone, se rencontrent secrètement. Après la joie des retrouvailles, l’angoisse : la manœuvre imaginée par les deux frères pour libérer la cité de la tyrannie de Créon réussira-t-elle ?
Dès le lendemain, on apprend la mort d’Etéocle et de Polynice, et l’interdiction sous peine de mort, édictée par Créon, d’enterrer ce dernier, qu’il accuse de trahison. Violant la loi, Antigone accomplit les funérailles. Créon, inflexible, l’envoie au supplice. Et c’est ainsi qu’il va tout perdre.
NOTE DE MISE EN SCENE
Une jeune fille, simple, intuitive. Elle ne demande rien, ne revendique rien. Elle est là, simplement. En vie. Elle parle peu. Mais elle voit, elle sent, et on l’écoute. Elle aime. Ses parents, ses frères, sa sœur. Son Hémon. Hémon, sa vie. Cette petite vie de rien, cette petite maison, ce petit bout de lit qu’elle leur rêve. On dirait qu’on aurait le droit d’être heureux puisqu’on n’a jamais fait de mal à personne.
Ce n’est pas poing levé tête en feu qu’elle ira enterrer Polynice, son frère, que la loi de Créon interdisait d’approcher. C’est le cœur serré par le deuil et l’angoisse d’avoir, pour la première fois, à tout accomplir seule, toutes les funérailles, sans être bien sûre de tous les rites, de savoir bien toutes les prières.
C’est notre Antigone, c’est celle que nous voulons vous faire entendre, ici et maintenant. Dans ce monde où l’on crie si fort que même pareil message de justice, tout mythique qu’il soit, se perdrait parmi les levées de boucliers.
Habituez votre oreille. Vous l’entendrez respirer. Elle qui, dans la simplicité de son chemin de jeune fille, porte la parole silencieuse de tous ceux qui sont morts pour la justice, en hors-la-loi, et dont on a souvent oublié jusqu’aux noms.
Rendre au théâtre sa vocation de silence d’où l’on peut, enfin, commencer à parler, où l’on redécouvre le murmure d’une vie qui s’articule jusqu’à la parole. Une parole qui nous rappelle ce que nous sommes : Que rien ne pourra jamais nous empêcher d’être, le temps de notre vie, ce que nous voulons être, et de garder, toujours, une attention à ce que cette petite voix, au-delà des dieux, sans nous obliger, nous révèle.
Marie Hasse
Metteur en scène et comédienne
* Enseignant, pédagogue. Son ouvrage : « Pédagogie active ; le droit de comprendre et d’apprendre », accessible au www.pedagogie-active.fr, permet d’avoir un aperçu de l’essentiel de ses travaux. « Hémon et Antigone » est sa deuxième pièce de théâtre.
Le mythe antique revisité ; plus actuel que jamais en un temps où, à Moscou, au Moyen-Orient et, à vrai dire, partout dans le monde, tant d’Antigone se dressent face aux innombrables Créon du moment.
L’histoire est abordée sous un angle original et prenant.
Des jeunes gens joyeux et confiants rencontrent soudain l’adversité froide, vulgaire et dure : Créon, ambitieux ondoyant et inflexible.
Tous meurent brisés, sauf Antigone dont le phrasé souligne la détermination venue d’au-delà d’elle-même… une Antigone objet de l’amour tourneboulé d’Hémon qui est pris entre deux êtres redoutables dans une affaire trop grande pour lui. Et tout va vite. L’intervention du « professeur », homme de notre temps, apporte un peu de recul, pour réfléchir, mais la tragédie a pris la place de l’histoire et tout sombre.
Créer une Antigone, après tant d’autres, était une gageure.
Le pari est réussi. On n’oubliera pas celle-là.
Maurice Desmazures
Pourquoi une nouvelle « Antigone »
Depuis l’antiquité, de nombreux dramaturges ont donné leur version d’Antigone. Pourquoi, après tant d’autres, « remettre ça » ?
La pièce qui est ici présentée propose une Antigone différente et inédite ; non pas que je l’aurais dotée de traits imaginaires nouveaux mais, au contraire, parce que je me suis appliqué à la décaper de tout ce dont les auteurs du passé l’avaient surchargée et qui, à mon avis, brouillait son image.
Ces surcharges, issues de la sensibilité ou des préoccupations politiques de chaque époque, sont faciles à identifier dans les pièces de ces derniers siècles, mais on les identifie tout aussi facilement dans la pièce de Sophocle qui a écrit son « Antigone » en un temps de tensions politiques dont il ne pouvait pas ne pas tenir compte. Je les ai donc effacées, un peu à la manière d’un restaurateur qui nettoie un antique tableau criblé des retouches du goût de ceux qui, un moment, l’ont eu en main.
J’ai voulu retrouver l’Antigone telle qu’elle apparaissait peut-être dans quelque version primitive du mythe : Une Antigone déterminée certes, mais simple, humaine et, par conséquent, plus à même d’apporter en toute clarté son message de justice à notre temps.
Recherche d’authenticité donc.
Je me suis permis, toutefois, de m’écarter du mythe d’origine en gommant de mon récit les développements qui ne concernent pas l’intrigue principale et qui racontent une autre histoire ; la querelle, par exemple, entre les deux frères d’Antigone, Etéocle et Polynice, dont j’ai décidé de faire des amis.
J’insiste beaucoup d’autre part, et pour mieux montrer leur humanité, sur l’amour entre Antigone et Hémon, amour que tous les auteurs mentionnent mais sur lequel ils s’étendent généralement peu, pensant sans doute qu’Antigone avait bien autre chose en tête que d’être amoureuse.
J’ai enfin pris les deux partis suivants :
- Antigone parlait, cela s’entend dans Sophocle, comme une jeune fille de son temps. J’ai décidé de la faire parler comme une jeune fille de notre temps.
Pour ne pas trop me tromper, j’ai choisi d’imiter la manière de s’exprimer de certaines de mes jeunes élèves, une langue simple, expressive, mais, disons, un peu rugueuse... et ce n’est pas une critique, loin de là, car c’est une langue qui peut tout dire, et plus encore, lorsqu’on l’écoute avec attention.
- J’ai décidé enfin de garder Antigone bien ancrée dans son milieu antique et mythique.
Son univers mental était différent du nôtre ? Pourquoi le cacher ? Montrons-le nettement ! Cela nous oblige, pour communiquer avec elle, à faire des transpositions ? Tant pis, ou plutôt, tant mieux. Pour pouvoir transposer, il faut d’abord comprendre.
Ce « grand écart » entre notre époque et l’antiquité archaïque nous permet-il de saisir Antigone dans sa vérité de toujours ? Je l’espère car qui, mieux qu’elle, a la capacité de nous jeter en face de l’éternel dilemme justice/injustice et de l’éternelle antinomie de deux manières d’être, la tragique et la lumineuse.
Nicolas Wapler