I - Prologue
Le coryphée et le professeur résument pour le public le mythe d’un des rois de Thèbes, Œdipe ; cet homme qui, sans savoir qu’il s’agissait de ses parents, a tué son père et épousé sa mère, et qui, après le suicide de cette dernière, s’est crevé les yeux pour ensuite, disparaître.
Scène à peine éclairée par une lumière triste. Un homme un peu fantomatique attend. Arrivée hésitante d’un autre homme qui semble le chercher. Conversation sur un ton de mystère.
Le coryphée : (à mi-voix) Professeur ?
Le professeur : Coryphée ?
Enfin, je vous trouve.
Le mal que j’ai eu !
Je me suis perdu.
Personne sur le chemin pour me renseigner ;
ou plutôt,
des gens qui semblaient ni me voir ni m’entendre.
Pardonnez-moi… mais cette obscurité ! C’est à peine si je devine où vous êtes.
Le coryphée : Obscurité ? Oui… Et combien plus obscure que l’obscurité !
Ici, même en plein jour, il fait nuit.
La lumière de l’Erèbe n’éclaire pas.
Elle ne fait que montrer l’obscurité des choses.
Le professeur : (inquiet) L’Erèbe ?
Le coryphée : L’Erèbe !
Le lieu où les âmes des humains se rendent pendant leur sommeil.
C’est aussi par-là que passent les morts qui descendent chez Hadès.
J’ai eu très peur que vous renonciez à venir.
Le professeur : (regardant, inquiet, autour de lui)
Il est vrai que tout à l’heure, comme je marchais,
J’ai été pris par une mystérieuse angoisse !
Cette sombre forêt que j’ai dû traverser,
Cet étroit chemin bordé d’arbres noirs
Ce chemin qui semblait ne conduire nulle part.
Le coryphée : Mais vous êtes là maintenant. Merci !
Le professeur : (troublé) Merci ?
Mais… c’est à moi de vous remercier ! Parce que… Je…
C’est un très grand honneur que vous me faites…
Le coryphée : (angoissé) Ne parlez pas d’honneur parce que, ce qui va se passer maintenant…
Le professeur : … L’histoire d’Antigone. Je sais…
Le coryphée : Hélas ! (pause) Mais le temps presse !
(le coryphée, de la main, montre le public au professeur) Nous avons convenu que vous nous diriez quelques mots !
Le professeur : (au coryphée) Je me présente ?
(d’une voix hésitante, au public en face duquel il se tourne)
Je me présente ! Je suis professeur. Professeur de lettres dans un lycée des environs…
(sa voix, d’abord mal assurée, s’affermit peu à peu pour se faire solennelle, pénétrée de l’importance de ce qu’elle dit)
Nous allons assister ce soir, à la représentation du dernier épisode de l’antique mythe des Labdacides, celui qui concerne Antigone.
Ce que nous allons voir est très important parce que les très graves évènements que les personnages vont vivre devant nous, nous concernent. Nous devrons donc écouter avec beaucoup d’attention Antigone qui se débat dans la nasse où Créon l’a enfermée et qui nous crie de toutes ses forces l’intolérable de l’injustice qui lui est faite. Cette Antigone passionnée, courageuse, déterminée, inflexible, inébranlable…
Le coryphée : (d’une voix de protestation amicale mais très attristée)… Fragile !
Le professeur : Comment ça « fragile » ? J’ai toujours lu qu’elle était…
Le coryphée : … (très affligé) Eh bien vous avez mal lu !
Le professeur : (un peu vexé) Mal lu ! V’là aut’chose !
Le coryphée : (triste et amical) Pardonnez-moi. Je vous ai blessé. Mais… s’il vous plaît, continuez !
Le professeur : Il nous faudra aussi écouter Créon dont les arguments depuis deux mille ans n’ont jamais cessé de troubler à peu près tout le monde.
L’histoire se passe… on ne sait quand, il y a très longtemps,
En ces temps insituables de la Grèce archaïque
Ou, peut-être même, avant…
Nous sommes à Thèbes.
Le coryphée : A Thèbes, en effet.
Des coulisses on entend faiblement des rires
(angoissé et agité) Vous avez entendu ? Les servantes d’Antigone : Lémonie et la petite Kukla. Elles arrivent ! Elles viennent apprêter cette cour retirée du palais pour une réunion, apparemment secrète...
(inquiet) Mais Antigone ? Où est-elle ?
(Inquiet, il l’appelle avec grande émotion) Αντιγονη ! ΑΝΤΙΓΟΝΗ !
Une voix jeune et gaie : (Des coulisses) Ne t’inquiète pas ! Je suis là ! (si possible en grec) Αλλά μην ανησυχείτε! Είμαι εκεί!
Le coryphée : Emu, agité. Elle est là ! Ils sont tous là !
Le professeur : (Emu) C’est maintenant ?
Le coryphée : (Avec effroi) Oui ! Maintenant ! (pause)
Le début du drame !
On entend alors trois lugubres coups - de gong, cloche ou tambour
Venez !
Le coryphée entraine le professeur, comme un ami pour rejoindre le coin où ils se retirent quand ils observent l’action.
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