VIII - Hémon et Antigone
Entrée d’Antigone. Elle est exténuée, trempée de pluie. Elle révèle à Hémon qu’elle a recouvert de terre le corps de son frère. Oui, elle était au courant de l’interdiction, mais, explique-t-elle, elle ne pouvait pas faire autrement... « vraiment pas.» Oui, elle a été vue et reconnue. Affolé, Hémon décide de quitter Thèbes avec Antigone pour la mettre à l’abri.
La porte de droite s’ouvre et laisse apparaître Antigone, trempée, une serviette de bain sur la tête, traînant d’une main lasse tout un attirail ; une aiguière, une coupe et des gobelets en cuivre, qu’elle laisse bruyamment tomber par terre lorsqu’elle aperçoit Hémon qui s’avance rapidement vers elle.
Hémon : (cri) Dieux ! Où étais-tu ?
Antigone : (comme si elle ne comprenait pas la question) : Où j’étais ?
Hémon : (l’attirant vers lui) Tu es trempée !
Antigone : J’étais dehors. L’orage, un gros !
Hémon : (l’aidant à s’essuyer les cheveux) Essuie-toi ! Mais que faisais-tu dehors ?
Antigone :
J’étais sous la pluie.
Ça tombait… et ça tonnait !
J’ai eu peur !
Hémon : Oui ! Mais pourquoi sortir par ce temps ?
Antigone :
J’ai essayé.
J’ai... réussi.
J’ai réussi à le couvrir de terre.
Hémon : (s’immobilisant, stupéfait) Tu as ? Quoi !?
Antigone : (au bord des larmes) S’il te plaît !
Hémon : Tu as su pour Polynice, et tu l’as... ?
Antigone : (après un moment de silence)
Oui ! Des gens m’ont tout raconté,
Alors j’y suis allée,
J’ai jeté de la terre sur son corps,
J’ai versé sur la terre le vin et l’huile,
Tout, comme il faut !
Et j’ai récité la prière des morts.
Tout entière, sauf une strophe,
La dernière.
Les mots se mélangeaient dans ma tête,
Je l’ai dite,
Mais tout de travers, je crois.
Hémon : Tu as ... enterré Polynice ? Mais l’interdiction ? Tu savais ?
Antigone : Oui ! C’est pour ça que j’ai couru, avant qu’il y ait trop de gardes... et peut-être des barrières pour empêcher les gens de s’approcher.
Mais dis !
Tu crois que c’est grave ?
Hémon : Mais oui c’est grave ! L’interdiction ! Une loi ! Une loi de la cité ! C’est très grave !
Antigone : Non... je dis... de pas avoir bien récité la dernière strophe !
Hémon : (prenant Antigone par les épaules) Mais qu’est-ce que tu racontes ! L’interdiction ! Sous peine de mort ! Tu avais compris, ça ? Sous peine de mort ? Antigone !
Antigone :
Oui ! Mais il fallait bien (pause)...
Après, ç’aurait été trop tard !
Hémon : Mais c'est dingue !
Antigone :
Dingue !
Moi aussi je pense ça.
C'est vraiment une loi dingue.
Mais il fallait que je l'enterre quand même.
Mon frère !
Tu comprends ?
Il fallait, quand même, que je l’enterre !
Hémon : (se reprenant) Est-ce que quelqu’un t’a vue ?
Antigone :
Oui ! Il y avait des gardes !
Ils s’étaient abrités sous un arbre à cause de la tempête.
Ils avaient peur et ils criaient :
« Arrête ! Arrête ! C’est interdit ! »
Mais ils osaient pas s’approcher.
Hémon : Ils t’ont reconnue ?
Antigone : Oui ! Il y en a un qui m’a appelée par mon nom :
« Antigone ! On t’en supplie, arrête ! »
Mais j’ai continué.
Et tu sais, j’ai tout bien fait,
Sauf la dernière strophe,
Tout fait bien !
Dis-le-moi que j’ai bien fait.
Toi au moins,
Au moins toi !
Tu sais, je pouvais pas faire autrement.
Je pouvais pas.
Vraiment pas !
Hémon : Oh Antigone, mon amour ! C’est juste, bien sûr, ce que tu as fait ! Mais qu’est-ce qu’elle est injuste, la Justice… Et tu as fait ça pour elle ? Elle est horrible la Justice. Je la déteste !
Antigone : (S’approchant d’Hémon) Je pouvais pas faire autrement !
Hémon : (de nouveau, ton pratique) Et quelqu’un d’autre sait ?
Antigone :
Ismène !
Je lui ai demandé de m’aider,
Mais elle a pas voulu,
La pauvre,
A cause de l’interdiction.
Elle avait trop peur.
Ça m’a mise en colère,
Mais bien vite je me suis dit qu’il fallait pas qu’elle vienne avec moi.
Elle est si fragile !
Hémon : (passant de la fermeté à l’inquiétude puis à la détermination) Elle avait raison ! Et toi ? Tu n’avais pas peur ? Tu sais que les lois de notre cité, quand c’est le roi qui les édicte, c’est sacré. Et Créon, maintenant, c’est lui le roi ! Rien ni personne ne peut empêcher qu’elles soient appliquées. (ton tourmenté) Mais qu’est-ce qu’on va faire ? (ton décidé) Il faut te cacher ! Je vais te cacher ! Non ! On va partir tous les deux ! Oui, partir ! Allez, viens vite, on s’en va !
Antigone : Où ?
Hémon : N’importe où ! Et puis dans quelques jours, je reviendrai pour arranger tout ça. Tu es quand même sa nièce !
Antigone : Sa nièce ? Oui !
Hémon : Je lui demanderai, moi. Je suis son fils. Mais oui, Tout ira bien. Il t’aime beaucoup. C’est vrai, Souviens-toi ! Autrefois ! Quand on vivait heureux tous ensemble ! Tu étais son chouchou. Il t’aime de tout son cœur... Il le montre pas parce c’est difficile pour lui en ce moment. C’est terrible le métier qu’il fait, tu te rends compte, sentir qu’on a sur les épaules la responsabilité d’une cité, de son avenir, de tous ses habitants... Il y a de quoi devenir dingue !
Antigone : Je crois pas qu’il m’aime !
Hémon : Mais si, je t’assure !
Antigone : Il y a longtemps qu’il me parle plus. Tu le sais bien.
Hémon : Mais c’est parce qu’il est nerveux avec toutes ces histoires. Et puis bientôt il va se sentir piégé avec cette loi idiote. Il va se rendre compte. Il changera d’avis. C’est certain. Allez viens, ça sert à rien de nous tourmenter. On monte chez toi pour t’habiller propre et sec et après... Zou ! En route !
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