Préface
Le coryphée et le professeur résument pour le public le mythe d’un des rois de Thèbes, Œdipe ; cet homme qui, sans savoir qu’il s’agissait de ses parents, a tué son père et épousé sa mère, et qui, après le suicide de cette dernière, s’est crevé les yeux pour ensuite, disparaître.
(A distribuer)
La différence la plus visible entre le théâtre grec et le nôtre, c’est la présence sur scène d’un chœur et d’un chef de chœur, le « coryphée ». Leurs fréquentes interventions, dansées, chantées ou parlées, ponctuaient l’action et la divisaient en épisodes comparables à nos actes et scènes.
Dans l’Antigone ici présentée, pas de danseurs, pas de choreutes. La figure du coryphée, par contre, a été conservée pour remplir sa fonction traditionnelle, fonction si importante qu’un collègue, « le professeur », lui a été adjoint pour, en l’absence de ses compagnons habituels, l’assister.
Le coryphée et le professeur ne prennent pas part à l’action. Ce qu’ils ont à dire, ils le disent, soit en s’adressant directement à nous, soit en conversant entre eux, soit en s’adressant aux personnages qui, éventuellement, leur répondent.
Le rôle du coryphée, témoin antique du drame, est de donner les informations nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire qu’il est censé connaître dans ses moindres détails. Il est aussi de nous permettre de prendre du recul et de méditer sur les événements qui se déroulent sous nos yeux.
Le rôle du professeur, témoin moderne, consiste à exprimer nos sentiments à nous, gens d’aujourd’hui, sentiments qui sont de cette manière portés à l’intérieur de la pièce, aux oreilles mêmes des personnages qui peuvent ainsi nous répondre, se justifier, expliquer leur comportement. Dialogue, donc, entre nous et les personnages.
*
Il est une autre différence entre les deux arts qui mérite d’être rappelée :
Contrairement à nous, les Athéniens ne se rendaient pas au théâtre pour assister, en spectateurs, à une histoire fictive, mais pour y voir un mythe.
Antigone, dans leur esprit, n’était pas une figure fictive, mais bien une figure mythique, une figure qui, à de nombreux égards, leur semblait aussi réelle, sinon plus, que celle d’un personnage qui aurait vécu et que le jeu des acteurs aurait, en quelque sorte, ressuscité. Le mythe n’était pas une fiction. Il était leur moyen à eux, non pas de représenter, - ce qui serait encore fiction,- mais de montrer la tragédie du réel dans toute son épaisseur. Les Grecs allaient au théâtre pour participer à cette réalité, et donc pour s’enrichir d’une expérience de vie à intégrer dans le stock d’expériences qui leur permettait de comprendre l’univers mystérieux et compliqué qui les entourait ; cet univers qui,- alors comme maintenant,- fonctionnait selon des règles et supposait le respect de règles qui sont la clef d’une vie individuelle et collective harmonieuse : Droiture, justice, amour de la famille et de la communauté, bienveillance envers autrui, courage, sens de la mesure...
La faculté qui permettait aux Grecs de vivre les mythes, nous l’avons perdue. Nous l’avons troquée contre cet esprit positif et critique qui nous caractérise mais qui, trop souvent, ne nous permet, hélas, que de nous faire sur les choses une opinion désenchantée.
Faire en sorte qu’Antigone ne soit pas comprise comme un personnage de fiction mais au contraire comme la figure réelle qu’elle était pour les Grecs est évidemment une gageure ; mais pourquoi ne pas essayer ? Notre époque n’a-t-elle pas,- plus qu’aucune autre peut-être,- besoin d’écouter ce que cette jeune fille ne cesse,- et avec quelle force,- de nous dire depuis vingt-cinq siècles ?
*
Les personnages :
- Antigone : | Fille d’Œdipe et de Jocaste | (Marie Hasse) |
- Ismène : | id. | (Maud Ribleur) |
- Lémonie : | Jeune fille, servante d’Antigone | (Audrey Daoudal) |
- Kukla : | Petite fille, servante d’Antigone | (Marie Thiébault) |
- Polynice : | Fils d’Œdipe et de Jocaste | (Paul-Victor Desarbres) |
- Etéocle : | id. | (Vivien Simon) |
- Créon : | Frère de Jocaste | (Bruno Gerbi) |
- Hémon : | Fils de Créon et d’Eurydice | (Victorien Robert) |
- Le garde : | Protecteur d’Hémon et d’Antigone | (Jean-Baptiste Frossard) |
- Gendarmes : | Exécutants des ordres de Créon | |
- Eurydice : | Femme de Créon et sœur de Jocaste | |
- Le coryphée : | Témoin antique du drame | (Pierre-Alexandre Cuzin) |
- Le professeur : | Témoin moderne du drame | (Rodolphe Corrion) |
Sous la direction de Marie Hasse
(au théâtre du Nord-Ouest à Paris le 21 février 2013)
L’action se déroule à Thèbes en Béotie
La scène :
Elle représente une cour ou une antichambre retirée du palais royal de la cité. Deux portes de part et d’autre. L’une, à gauche, conduit vers l’intérieur du palais, l’autre, à droite, vers les remparts de la ville et la campagne.
Vêtements :
Le professeur : en professeur de notre temps.
Le coryphée : Son vêtement peut discrètement évoquer l’antiquité (ex : une longue tunique claire).
Les jeunes : vêtements seyants, simples mais qui n’évoquent aucune époque en particulier. J’imagine les jeunes filles pieds nus et les garçons en espadrilles à lacets (vigatanes).
Etéocle : un signe (à déterminer), montre qu’il est roi.
Créon : C’est à tout l’attirail qu’il porte dans ses bras lorsqu’il apparaît pour la première fois que l’on voit le côté « guerrier grec », d’un homme passablement ridicule mais quand même dangereux. Sinon, lui aussi est en tunique.
Gendarmes : en noir, peut-être genre commando en mission nocturne.
Le garde : tenue claire.
Les hommes sont chaussés de sandales. Professeur en baskets.
Intermèdes musicaux :
Facultatifs. Peuvent servir à marquer certaines articulations. Une mélopée de quelques mesures, à la guitare ou au piano, chantée peut-être. Peut-être de simples éléments sonores ? Ils doivent être harmonieux, évoquer plutôt mélancolie que violence ou drame. Ni strident ou cacophonique.
Remarque sur le phrasé d’Antigone :
Lorsque les gens sont émus, cela transparaît souvent dans leur manière de parler. Ils appuient sur certaines syllabes, glissent sur d’autres, et cela fait comme une sorte de chant qui nous touche profondément et qui, tout autant que leurs mots, traduit ce qu’ils éprouvent.
C’est ainsi que j’imagine le parler d’Antigone qui du début à la fin de la pièce est constamment bouleversée. A titre d’exemple, j’ai souligné sur quelques lignes - d’un trait gras les syllabes « lourdes » (plus longues, plus hautes ou plus fortes que les autres) sur lesquelles on peut imaginer qu’elle pourrait appuyer - d’un trait maigre les légères. Ces indications sont tout à fait facultatives.
Notons enfin que si ses phrases sont très souvent cadencées par un compte précis de leurs syllabes, elle ne parle pas « en vers », mais de cette manière émotive et rythmée que je viens de dire.